Au large des côtes finistériennes, l’île aux Moutons abrite un trésor naturel d’une richesse exceptionnelle. Réserve ornithologique réputée, cette île est le refuge de nombreuses espèces d’oiseaux marins qui viennent y nicher chaque année.
Pour préserver cet écosystème fragile, la mission des gardiens de l’île est essentielle. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de rencontrer Iwein, récemment recruté pour assurer le gardiennage de cette île et ses missions de sensibilisation et de gestion. Dans cet entretien exclusif, notre Robinson Crusoé nous partage son expérience, ses défis quotidiens et ses aspirations pour la conservation de ce précieux patrimoine naturel.
Peux tu te présenter ?
Je m’appelle Iwein, j’ai 24 ans et toutes mes dents, j’ai eu la chance de grandir à deux pas de la mer au pied du jardin, à Locmaria-Plouzané, pas loin de Brest. Ce cadre exceptionnel m’a incité depuis tout petit à dédier mon temps libre à profiter du grand air, en essayant de mettre un nom sur tous les animaux qui vivent autour de nous.
Suivant cette logique, j’ai rapidement décidé d’orienter mes études vers la préservation de la biodiversité, dans l’intention d’apporter ma petite pierre à l’édifice nécessaire à sa conservation. Après une licence en biologie, j’ai rejoint le master GC-Bio (Gestion et Conservation de la Biodiversité) à Brest, qui m’a permis d’acquérir les compétences nécessaires à l’application de protocoles scientifiques, du terrain au partage des résultats qui en découlent.
Donc en ce moment tu es en service civique, cela peut t’ouvrir d’autres portes j’imagine ?
C’est ça ! J’ai achevé le master fin 2023, et j’ai rejoint l’association Bretagne vivante en mars de cette année, en tant que volontaire service civique. Ces 6 mois de missions sont l’occasion de partager le quotidien de professionnels travaillant pour la préservation de l’environnement et d’élargir mon réseau de contacts au-delà du cadre universitaire. C’est aussi l’opportunité de les accompagner sur le terrain, et de participer à des expériences que l’on aurait imaginé hors de notre portée avant de se lancer. Ça valait le coup de franchir le pas !
Faut-il des études spécifiques pour pouvoir vivre sur une île ?
Pour ce qui est de “vivre” à proprement parler sur l’île, aucun besoin d’étude. Il faut cependant être préparé à l’idée de se satisfaire du nécessaire. On se passe du pain frais le matin et du chauffage le soir, mais on est au premières loges pour les levers/couchers de soleil tous les jours ! On est plutôt gagnant au final !
Comment décrirais tu ta mission en ce moment ?
Cette mission consiste à assurer le suivi des oiseaux marins nicheurs. Concrètement, il s’agit de veiller sur l’ensemble du cycle de reproduction des espèces étudiées, de la ponte des œufs (en avril-mai) à l’envol des poussins (en juillet-août). A ce titre, 5 espèces sont chaque jour dans le viseur de nos jumelles :
- le gravelot à collier interrompu
- l’huitrier pie
- la sterne caugek
- la sterne pierregarin
- et enfin la plus rare, la sterne de Dougall
Au début de la saison, notre quotidien consiste à repérer et cartographier les nids pour chacune de ces espèces, afin de délimiter le périmètre de l’île exploité pour la nidification. Grâce à ces cartographies, on est en mesure d’adapter nos déplacements/suivis en conséquence pour limiter le dérangement, mais aussi d’évaluer l’évolution des effectifs nicheurs, et de partager nos résultats avec l’équipe à terre.
Outre le suivi des espèces, on profite d’être quotidiennement sur l’île pour rappeler l’arrêté préfectoral interdisant le débarquement sur l’île durant la saison de nidification auprès des usagers de la mer. Les interactions que nous avons eues jusqu’ici se sont toujours très bien déroulées !
France 3 a récemment consacré un reportage à nos gardiens du bout du monde, au large du Finistère sur leur “caillou” comme ils l’appellent :
En quoi ta mission est importante ?
Comme les autres îles du Ponant, l’île aux Moutons représente une halte migratoire intéressante pour les oiseaux remontant de l’Afrique vers le nord-ouest de l’Europe. Au-delà d’une halte, certaines espèces comme les sternes profitent d’y trouver des conditions favorables à la reproduction pour y assurer leur nidification. Ces conditions favorables se traduisent ici par l’absence de prédateurs terrestres, la ressource alimentaire à proximité directe du site de ponte, et une végétation rase facilitant l’établissement du nid.
Cette année, ce sont quelque 2000 sternes caugeks, 200 sternes pierregarins et une vingtaine de sternes de Dougall qui élèvent actuellement poussins sur l’île. Comme beaucoup d’autres, ces espèces sont particulièrement menacées par le changement global et les conséquences associées, d’où l’importance de préserver un réseau de sites proposant des conditions favorables à l’accueil de ces oiseaux, dont l’île aux Moutons fait partie.
La sterne de Dougall est d’ailleurs considéré comme un des oiseaux marins les plus menacés d’Europe. En France, elle est classée en danger critique d’extinction.Cette année encore, la présence d’une dizaine de couples sur l’île confirme son rôle essentiel dans la sauvegarde de cette espèce.
Comment se présente ta journée type ?
Chaque journée est très météo-dépendante, on profite des mouvements de marée pour adapter nos déplacements sur l’île de sorte à assurer nos suivis tout en limitant le dérangement sur les oiseaux. De ce fait, on ne travaille jamais tout à fait aux mêmes heures d’un jour à l’autre.
La routine d’une journée se traduit d’abord par un comptage des effectifs des 3 espèces de sternes nicheuses. S’ensuit un suivi à distance des Gravelots et Huîtriers pie, actuellement en pleine phase d’élevage de poussin. D’un point de vue socio, un regard est aussi porté sur le nombre de bateaux au mouillage autour de l’île et aux potentielles tentatives de débarquement. Répéter ce protocole tous les jours nous permet d’établir des tendances à court et à long terme, traduisant l’évolution des effectifs sur l’île. Ceux-ci sont d’ailleurs en légère augmentation depuis quelques semaines, suite à l’éclosion des premiers poussins.
Quel moment préfères-tu ?
La toute fin de journée ! En cette période, l’île mériterait davantage de s’appeler l’île aux oiseaux que l’île aux moutons tant ils ont investi les lieux, et à notre plus grand bonheur, ils sont particulièrement en activité au crépuscule. Assister au spectacle de leurs allées et venues ici et là sur l’île au moment où le soleil décline, c’est le pied !
Quels sont les oiseaux présents sur l’île ?
Avec Keanu (mon binôme naufragé volontaire), on a recensé 62 espèces différentes de passage sur l’île depuis mi-avril. Il y a eu pas mal de remue-ménage de fin avril à mi-mai, (période de migration), l’occasion d’observer des espèces de passage parfois qu’une journée, voire quelques heures. Ces temps-ci, on observe une vingtaine d’espèces par jour en moyenne. Parmi celles-ci, il y a évidemment les 3 espèces de sterne nichant sur l’île (caugek, pierregarin et Dougall), le gravelot à collier interrompu et l’huitrier pie. Les 3 espèces de Goéland communes en Bretagne sont également présentes : l’argenté, le brun et le marin, de même que le grand cormoran et le cormoran huppé.
Plus au large, il est fréquent d’observer des fous de bassan en pêche, parfois accompagnés par les dauphins…et de puffins des Baléares, une espèce rare et menacée, de passage le long des côtes bretonnes en période estivale.
Les espèces locales, présentes toute l’année en Bretagne, sont-elles plus touchées que les migrateurs par la grippe aviaire ?
Pas forcément, l’épidémie ne fait ni dans le tri ni dans la dentelle.. A l’échelle régionale, c’est d’abord la colonie de fous de bassan dans les 7 îles qui a été décimée il y a deux ans, alors qu’ils ont été plutôt épargnés l’année dernière en comparaison. A l’inverse de la colonie de sterne de l’île aux Moutons qui a subi une véritable hécatombe l’année dernière, alors qu’elle avait été plutôt épargnée l’année d’avant. On ne peut qu’espérer que ça se passe mieux cette année..
Les sternes ont-elles des prédateurs naturels ?
Côté prédateurs terrestres, les sternes sont épargnées ici ! L’isolement géographique de l’île les préserve d’une mauvaise rencontre avec un renard, un vison ou des rats. En revanche, les poussins isolés ne sont pas à l’abri de finir dans le bec d’un goéland ou d’un héron, deux espèces opportunistes qui ont l’habitude de privilégier les proies faciles, et quoi de plus vulnérable qu’un poussin qui ne marche pas droit…
Quel est le plus grand danger qui plane sur les oiseaux ?
À court terme, sans doute une reprise virulente de l’épidémie de grippe aviaire. L’hécatombe est immédiate, et met en échec tout un cycle de reproduction chez les oiseaux nicheurs. À long terme, le changement global apporte lui aussi son lot d’inquiétudes (raréfaction de la ressource alimentaire, changement dans la phénologie des espèces, hausse des événements météo extrêmes etc…)
As-tu eu de bonnes surprises au moment de tes recensements d’oiseaux ? Ou des moments insolites ?
Carrément !!! On a évoqué le cas des 3 espèces de sternes nicheuses, mais il y en a aussi de passage, qui nous font ponctuellement l’honneur de leur présence par-ci par-là au cours de la saison ! À nous ensuite de nous débrouiller pour débusquer la silhouette “un peu différente des autres”. C’est ainsi qu’on a retrouvé la trace de la Sterne bridée, dont les individus les plus proches de chez nous sont normalement du côté de la Mauritanie et des Antilles ! Belle surprise donc, de voir une bestiole pareille dans le coin. Un spécimen de cette espèce avait déjà été observé sur l’île l’année dernière quelques jours, et l’année d’avant pendant plus d’un mois, il s’agit donc probablement du même individu isolé.
Cette activité est-elle prévue sur les île de la mer d’Iroise ?
Bien sûr, des mesures équivalente sur les oiseaux marins nicheurs sont établis côté Iroise, avec notamment le suivi de la reproduction des océanites tempête dans l’archipel de Molène, où la majeur partie des effectifs nicheurs français sont recensés chaque année. C’est d’ailleurs pour préserver le développement de sa biodiversité remarquable que l’archipel bénéficie du statut de réserve naturelle.
Tu a été guide nature pour la compagnie Penn ar Bed en 2022. En quoi cela fait-il écho à ta mission actuelle ?
L’interdiction de débarquer sur l’île aux Moutons n’empêche pas l’interaction avec les usagers de la mer, bien au contraire. Échanger avec les plaisanciers au mouillage permet une meilleure compréhension du patrimoine naturel singulier de l’île, et de profiter de ce cadre exceptionnel pour sensibiliser le grand public aux enjeux environnementaux. Cette expérience de guide-animateur à bord des navires de la compagnie maritime Penn Ar Bed était l’opportunité parfaite pour me roder à l’exercice du dialogue avec le grand public ! J’en profite pour saluer l’équipage de l’Enez-sun et les remercier des bons moments passés à bord en leur compagnie !
Merci beaucoup pour ton temps et ton partage de connaissances, c’est précieux car l’île aux moutons est désormais interdite à toute présence humaine du 1 avril au 31 août (période de nidification des oiseaux)
Pour résumer, les jeunes volontaires sont recrutés pour assurer tout au long de la saison, le gardiennage de l’île aux Moutons et l’ensemble des missions de sensibilisation et de gestion de la réserve ornithologique. Leur mission comprend notamment :
- Le gardiennage de la colonie plurispécifique de sternes et d’oiseaux nicheurs
- La mise en place de divers protocoles scientifiques de suivi de l’avifaune marine et côtière
- La sensibilisation du public aux enjeux de conservation du patrimoine naturel de l’île
- L’amélioration des connaissances et la mise à jour des inventaires naturalistes existants
- Le suivi et l’évaluation périodique des activités humaines autour de la réserve
- La gestion conservatoire du patrimoine naturel et l’entretien des milieux
Un podcast d’une durée de 2 minutes est disponible sur le site de RadioFrance pour en savoir encore plus.
Cette interview vous a donné soif d’ornithologie ? Dans ce cas devenez incollable sur les oiseaux des îles de la mer d’Iroise grâce au Parc Marin d’Iroise :
En Bref
La mission de Iwein Le Frapper sur l’île aux Moutons illustre l’importance du gardiennage et de la gestion des réserves ornithologiques pour la préservation de la biodiversité. Grâce à son engagement, le public peut mieux comprendre les enjeux de la conservation et contribuer activement à la protection de ces écosystèmes fragiles.
Ce travail n’est pas isolé. Les îles de la mer d’Iroise, tout comme l’île aux Moutons, jouent un rôle essentiel dans le réseau de sites de reproduction et de halte migratoire pour de nombreuses espèces d’oiseaux.
Chaque île, avec ses caractéristiques uniques, participe à la grande mosaïque de la conservation marine et côtière en Bretagne. En soutenant ces initiatives et en respectant les régulations mises en place pour protéger ces espaces, nous pouvons tous contribuer à la préservation de notre patrimoine naturel pour les générations futures.